08-03-2021
Veronique Faujour : Lettre à mes filles pour aujourd’hui et pour après
En décembre 2019, le Forum Économique Mondial observait une avancée certaine dans les inégalités homme-femme : désormais, il ne faudrait plus qu’un siècle pour parvenir à la parité entre les sexes...
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Je me souviens avoir plaisanté et tourné en dérision cette durée, presque interminable, qui nous séparait de la parité. Mais intérieurement, j’étais bouleversée en réalisant tout simplement que c’était cuit pour mes filles, cuit aussi pour mes petites-filles ; peut-être pas pour mes arrière-petites-filles, mais assurément cela je ne le verrai jamais.
Nous avons tous autour de nous des filles, des petites filles, des nièces ; sans même évoquer la nécessité de parité au plus haut niveau, aucun d’entre nous ne peut leur souhaiter un accès aussi lent et au compte-gouttes à une simple et juste parité...
J’ai moi-même trois filles, trois jeunes femmes qui continuent de construire leur vie personnelle, et qui sont arrivées au seuil de leur vie professionnelle. J’avais envie, en cette Journée internationale des droits des femmes, de leur écrire cette lettre, pour leur dire tout simplement : vous êtes la génération qui a le pouvoir dès maintenant, sans devoir attendre 100 ans encore, de bousculer l’immobilisme.
Et vous, si vous deviez écrire une lettre à vos filles, petites-filles, nièces… Qu’auriez-vous envie de leur dire ?
Être une femme dans ce monde post-Covid-19 n’est pas un frein mais une chance en or
Non pas parce que nous aurions, nous les femmes, des qualités prédestinées, qui nous distingueraient particulièrement des hommes. Je lis ici ou là que nous serions naturellement plus empathiques, plus à l’écoute... Nous aurions une vision plus claire, plus concrète, plus inclusive peut-être. On lit même que les pays dirigés par des femmes auraient mieux géré la crise… Christine Lagarde, après la crise financière de 2008, ne disait-elle pas : « Si les Lehman Brothers avaient été Lehman Sisters, comment aurait été la crise ? »
Je ne crois pas à ces qualités qui nous seraient attribuées à la naissance. Je crois que ce qui nous distingue tous et toutes, ce qui vous distinguera mes filles, c’est votre expérience, ou plutôt vos expériences cumulées de vie : toujours amenées à vivre des cycles, des accélérations, des pauses, en parallèle de la famille qui compte et qui reste à vos côtés, vous voudrez pouvoir conjuguer le mieux possible le développement de votre vie professionnelle, votre accomplissement personnel, et votre vie, peut-être un jour, de maman.
C’est le temps long qui forge les caractères et cette crise sanitaire est bel et bien un révélateur du temps long. Vos qualités, par vos expériences de vie et vos épreuves, seront indispensables pour faire face courageusement aux grands défis environnementaux et sociétaux du siècle. Qui peut douter de l’implication de la relève, de ces millions de jeunes femmes déterminées ?
Vous ne manquez pas, autour de vous, dans les media, de « Role Models », ou de portraits de femmes inspirantes, dans l’Histoire et plus récemment, aux parcours exemplaires, pour devenir ce que vous pouvez imaginer.
Ce dont vous avez besoin, dans cette course d’escargots, c’est de construire une volonté collective…
Notamment autour de la question des quotas. La loi Copé-Zimmermann (d’ailleurs, pourquoi pas « Zimmermann-Copé » ?) pour la féminisation des Conseils d’Administration du SBF120 aura fait avancer la gouvernance des entreprises de façon spectaculaire : en 10 ans, les postes occupés par des femmes dans les Conseils sont passés de 12% à près de 46%... grâce à quoi la France était en tête des pays européens. Les quotas amènent donc des résultats, sans eux, les pratiques d’auto-régulation rencontrent leurs limites : sans quotas, dans les PME-Alternext, la part des femmes dans les Conseils stagne davantage, en dessous de 20%.
Concernant les organes de direction, le ruissellement de la loi n’a pas eu lieu. En miroir de la gouvernance, les comités exécutifs et les comités de direction des grandes entreprises françaises sont restés en moyenne à 22% de femmes. Ce n’est pas une fatalité pourtant.
Très souvent, vous entendrez : « On ne demande pas mieux, mais on ne trouve pas de femmes, pas de vivier… » ou encore à l’extrême : « Faut-il déloger des hommes pour nommer des femmes ? ». Vous le savez, il ne s’agit pas d’un affrontement entre hommes et femmes, ou encore de remplacer une forme de domination par une autre, mais au contraire, de permettre la mixité, d’encourager une évolution dans les organes de direction, tout autant que ceux de la gouvernance. Avançons plus vite vers cet horizon juste, normal et sain.
Notre pays compte 52% de femmes… atteindre la parité homme-femme dans les organes exécutifs et de gouvernance est un enjeu de performance pour toutes les entreprises.
La crise Covid rappelle l’essentiel : seules les entreprises utiles, à leurs clients, à la société, pourront résister et se développer dans la durée. Elles seront de plus en plus le reflet de la société réelle, de sa diversité. La moitié de l’humanité ne peut être occultée dans la réponse aux nouveaux usages des citoyens et à leurs nouvelles aspirations ; dans ce contexte, la mixité homme-femme sera une force. Aujourd’hui, nous pouvons nous réjouir de l’initiative conjuguée de 41 dirigeantes et dirigeants de grandes entreprises pour promouvoir 30% de femmes dans les 10% de postes à plus forte responsabilité du SBF120 ; cela signifie concrètement de passer de 21% à 30%, à un horizon de 10 ans.
Pourrez-vous aller plus loin encore mes filles ?
Thomas Piketty écrivait récemment : « On ne choisit pas son sexe mais on choisit le monde dans lequel on se bat » - cette décision peut être un moteur : faites vôtre le combat de la mixité, de la complémentarité ; faites inlassablement vôtre le combat pour les quotas, en visant plus haut, pourquoi pas a minima 40% dans les instances de direction, en miroir de la gouvernance, au plus tard d’ici 10 ans. Un objectif suffisamment ambitieux, pour permettre de déconstruire les idées reçues, d’apporter des solutions concrètes à la promotion des femmes, de la formation à l’accès professionnel, de façon universelle, dans tous les secteurs, y compris technologiques. Ayez toujours en tête enfin que vous êtes la moitié de l’humanité !
Ma mère, votre grand-mère, n’avait pas fait d’étude, était d’origine modeste, et était la seule fille parmi ses deux sœurs à travailler. Ce qu’elle m’a transmis, très tôt, était l’essentiel à ses yeux pour une femme : avoir une voiture, pour pouvoir circuler librement, et un travail, pour ne dépendre financièrement de personne. 50 ans plus tard, tout ceci reste essentiel, mais j’ajouterais en plus, pour vous, que le plus important sera de vivre votre vie, celle que vous aurez vraiment choisie de mener. Cela me rappelle ce livre, Regrets of dying, où Bronnie Ware retrace ses entretiens, pendant plusieurs années, avec des personnes en fin de vie. Elle leur demandait invariablement quel était leur plus grand regret de vie, et inlassablement, les personnes répondaient : ne pas avoir vécu la vie que j’aurais voulu.
L’essentiel pour vous, mes filles chéries, au-delà de tout ce qui précède, c’est de pouvoir choisir votre vie, personnelle, professionnelle, sans renoncements. C’est de vivre pleinement votre vie, sans devoir attendre un siècle. On sera nombreux à poursuivre avec vous cet engagement. Et je serais alors curieuse de lire à mon tour votre lettre dans 10 ans.
